Le manifeste cannibale Dada de Francis Picabia disait en 1924 « L’honneur se vend et s’achète comme le cul. » Aujourd’hui le cynisme ne fait plus scandale, il est la règle qui régit tous nos rapports sociaux et humains. Dans son dernier ouvrage, Nouvelle Géopolitique de l’art contemporain, Aude de Kerros précise : « On ne parle plus de valeur intrinsèque d’une œuvre, mais de cote, d’indice monétaire. » (p8)
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L’innocent argent de poche de l’hyperclasse…
Depuis longtemps maintenant, nous constatons l’arnaque intellectuelle et morale de l’art contemporain. Depuis longtemps, nous dénonçons la convergence des oppressions entre un Etat français dirigiste et une finance internationale globalisante, au profit d’un art unique conceptuel aux messages pseudo subversifs et véritablement progressistes. Depuis peu, nous avons pris conscience que l’art contemporain était devenu un art financier, une simple monnaie. Aude de Kerros nous rappelle d’ailleurs à ce titre que les conseillers financiers recommandent d’avoir dans son portefeuille d’actifs environ 20% d’art. La rentabilité de l’art est estimée à 8%. Aucun risque. Même si c’est moche, même si c’est idiot, et surtout si ce n’est pas de l’art, cela vaut le coup. C’est ce qu’elle appelle l’innocent argent de poche de l’hyperclasse (p13) et c’est aussi bien souvent la possibilité d’un blanchiment de l’argent du crime et du trafic de drogue. C’est surtout, concernant l’art conceptuel, le lieu du délit d’initiés permanent. L’hyperclasse se met d’accord sur la valeur d’une œuvre et l’œuvre a cette valeur. Attribuer un prix est du ready made sur du ready made finalement. C’est de l’art parce qu’on l’a décidé. De la même façon, cela vaut plus ou moins cher parce qu’on le décide.
Toutes ces prises de conscience, nous les devons entre autres à Aude de Kerros au travers de ces divers ouvrages dont L’art caché : Les dissidents de l’art contemporain ; Des révélations inédites sur l’art actuel et L’imposture de l’art contemporain : Une utopie financière. Mais comme le monde est entré dans son ère trotskyste des organisations et que tout change en permanence de peur que l’on ne s’aperçoive de la bêtise de ce qui existe, il faut rester en veille. C’est ce que fait Aude de Kerros en nous expliquant désormais La nouvelle géopolitique de l’art contemporain.
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New-York : seul l’art conceptuel permet d’imposer un arbitraire
Le livre s’ancre dans l’histoire en rappelant la guerre froide et l’invention du soft power américain. Tout est venu de la CIA et de la guerre froide. Le coup de génie a été de récupérer les artistes en les achetant finalement, en les transformant en valeur marchande. « Un artiste de gauche peut librement, par ses œuvres, exprimer ses idées, sa critique de la société, et en même temps être promu, acheté, institutionnalisé. » Nous avons là, en définitif le premier exemple d’« en même temps » machiavélique, bien avant que notre algorithme de président n’en abuse à tour de bras. Une hégémonie américaine a suivi l’effondrement du bloc soviétique. Les USA ont utilisé l’art contemporain comme une arme pour globaliser le monde et effacer les identités culturelles et civilisationnelles. En art, la globalisation impliquerait un processus de « décivilisation » ? Ce n’est pas une conséquence non souhaitée, mais un objectif revendiqué. Nathalie Obadia avoue que l’art contemporain comme soft power, est un outil indispensable à la paix dans le monde et à la concorde universelle. En gommant les civilisations, en standardisant la culture, on supprime selon cette idéologie le risque de guerre et on peut imposer cette autre dictature à visage humain. « New York souhaiterait exercer sans partage son pouvoir de consécration et d’exclusion, bref de décider seul les critères de “l’art contemporain”. Sans identité, sans esthétique, seul l’art conceptuel permet d’imposer un arbitraire. » (p137) Seulement, l’hégémonie passée, certaines civilisations peuvent prouver qu’elles ne sont pas mortes et il faut bien avouer que l’art contemporain s’essouffle, comme une éternelle et gâteuse avant-garde (p15). « La martingale dérision-mépris-sidération-confusion-inversion semble avoir atteint ses limites. » (p258)
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La Russie, la Chine : tant de vie !
Aude de Kerros montre qu’aujourd’hui la géopolitique de l’art contemporain est celle des places pétrolières, des grandes places financières et des Gafam. Pour autant, la géopolitique de l’art tout court, est plus complexe. Ainsi, alors que le marché de l’art contemporain est avant tout un marché de l’offre, la Chine s’inscrit, elle, dans un marché de demande correspondant davantage à un désir anthropologique. Et il faut bien avouer que le carcan conceptuel et froid aurait bien du mal à contenir tant de vie culturelle. De la même façon, en Russie, art contemporain signifie art libre et non uniquement conceptuel. La vie artistique n’y est quasiment pas subventionnée, donc quasiment pas contrôlée, elle est de fait plus créative, plus imprévisible. En Chine, la seule contrainte est la non critique ouverte du gouvernement, ce qui laisse tout de même beaucoup plus de possibilités d’expression artistique qu’en Occident.*