Marion Zilio / 1. B. Stiegler, Économie de l’hypermatériel et psychopouvoir, Paris, Mille et une nuits, 2009.
Hadrien GERENTON (FR), Micah HESSE (USA), Rachel KOOLEN (NL) Irina LOTAREVICH (USA), Julien MEERT (BE), Loup SARION (FR)
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Chevaucher la ligne entre la forme et la fonction, et non plus suivre le corollaire moderniste selon lequel «la forme suit la fonction». Fruit d’une idéologie fonctionnaliste, stipulant que la beauté d’un objet fabriqué provient de son adaptation à sa fonction, cette formule reste envoutée par l’idée de Beau et prisonnière d’un ravissement orienté pour les choses «nobles» de ce monde. Dans cette exposition collective, les artistes troublent la ligne de démarcation entre la forme et la fonction, opèrent par transformations: non pas «transfiguration du banal», mais régression à la banalité des objets, à leur puissance mobilisatrice et instigatrice de mondes. Réduction de l’objet donc, à ce qu’il est tel qu’il est, jusqu’à ce point le plus bas, où l’on frôle le réel: cette vie «dégradée» que l’on cherche activement à recouvrir d’un voile de pudeur. Ici se joue le retour vers une ontologie plate, qui engloberait indifféremment le sacré et le profane, le réel et le virtuel, le back- et le on stage, sans hiérarchie ni valeur, mais sans en épuiser pour autant le pouvoir de fascination. Investissant les lieux communs de notre vie pratique, à l’image des parkings dont on minore l’intérêt jusqu’au moment de leur utilisation, les artistes recomposent notre attachement aux choses dans ce qu’elles ont d’hypermatériel, là « où la matière est toujours déjà une forme, où la forme est toujours déjà une information, et où l’“ immatériel ” apparaît pour ce qu’il est : une fable qui enfume les esprits »1. De cette vie mondaine, quotidienne ou ordinaire, seuls les designers semblent avoir le souci d’en organiser l’appareillage complexe qui en révèle le monde. Pourtant c’est bien à partir de cette infrastructure, tant technique qu’économique, que se développent les formes politiques et juridiques, que se déploient nos représentations cognitives, que prennent racine nos affects et notre rapport à soi, aux autres, au monde. Parce que l’appareillage nous traverse, nous construit, nous met en relation les uns avec les autres, il doit aujourd’hui pouvoir se vivre sous la forme d’une expérience esthétique, qui en revisite la portée critique.
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Ainsi en va-t-il des bannières en berne réalisées par Loup Sarion. Porteuses d’une forme de rêve collectif qui les redouble en symbole, elles affirment le paradoxe d’être à la fois le véhicule d’une morale consumériste, comme sa bassesse programmée. Chez Irina Lotarevich, les boites de la marque d’outils DeWALT, remplies d’eau croupissante mélangée à des cosmétiques ou du bain de bouche LISTERINE, mobilisent la puissance évocatrice et ornementale des marques placardées sur les murs de nos villes. Chez Hadrien Gerenton, le mobilier domestique se voit détourné vers des usages insolites qui en redéfinissent l’usage, la fonction suit alors la forme ; quand Rachel Koolen investit l’espace de pièces en instance de résurrection. Pour chacun, il s’agit non plus de travailler contre, et à cause d’une base matérielle qui régulerait nos comportements, mais avec et grâce à elle. De ces retournements de regards, les artistes nous présentent la logistique pure, ce par quoi les choses ne sont jamais que ce que l’on projette sur elles, en acquérant leur «essence» par l’usage singulier que l’on peut en faire.
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To straddle the line between form and function, and not to follow the modernist corollary, which implies that form follows function. As a result of a functionalist ideology stating that the beauty of a produced object comes from its ability to adapt to its function, this concept remains enchanted by the notion of Beauty and imprisoned in rapture for the noble things present in this world. The artists taking part in this group exhibition blur the boundaries between form and function, they act with transformations: not as “metamorphosing banality” but as the objects’ decline to banality, their power to mobilize and generate worlds. The object is thus reduced to what it is as it is, up to the lowest point near reality: this damaged life that we want to hide under a veil of decency. Here the return of a flat ontology is at stake, where sacred and secular, real and virtual, backstage and onstage would be indifferently embraced without hierarchy or value, though not exhausting its capacity to fascinate. By investing common places of our practical lives, such as car parks that we tend to ignore until we use them, the artists redefine our attachment to material things in the “hypermateriality” they have, where “matter is always already a form, where form is always already an information, and where immateriality appears for what it is: an invention that can trick minds”1. In this high, daily or ordinary life, only designers seem to care enough to organize their intricate apparatus, revealing this world. However it is from this both technical and economical infrastructure that political and legal forms develop, that our cognitive representations expand, that our affects and inner relationships take root, our relationships with others, with the world. And because this apparatus goes through us, builds us, connects us one another, it should be lived today as an aesthetic experience allowing a new critical range. So are the half-mast banners created by Loup Sarion. Flourishing a kind of collective dream which rises them to symbol, the banners represent the contradiction between being the vector of a consumerist moral and its programmed baseness. The DeWALT tool cases of Irina Lotarevich, filled with stagnant water mixed with beauty products or Listerine mouthwash rally the evocative and ornamental strength of trademarks omnipresent on our city walls. The house furniture of Hadrien Gérenton is distorted to unusual uses redefining their purpose: the function then follows the form; while Rachel Koolen places artworks pending resurrection. For all, this is not about working against and because of a material basis which would regulate our behaviors, but with it and thanks to it. The artists present here pure logistics from these diverted looks, what makes things what we envisage them to be, acquiring their “essence” by the singular use of what we can make with it.
Marion Zilio 1. B. Stiegler, Économie de l’hypermatériel et psychopouvoir, Paris, Mille et une nuits, 2009.
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